COVID-19 et essais cliniques : point de vue de Rémi Quirion

Dans le cadre de la situation exceptionnelle entourant la COVID-19, CATALIS a interrogé des leaders du Québec en recherche clinique pour connaître leur point de vue sur la crise et trouver les moyens de s’adapter. Voici le point de vue de Dr Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec.

 Q. Selon vous, comment la pandémie de la COVID-19 va-t-elle transformer la recherche clinique en cours et à venir ; sur le plan mondial et québécois ?

Le maintien des améliorations à la recherche clinique après la pandémie

Pendant la crise, on a accéléré de façon très importante les prises de décisions, tant au niveau du ministère de la Santé, de la santé publique et de Santé Canada. Ce que l’on fait de bien doit être conservé après la pandémie.  

Nous avons réussi à monter un essai clinique relativement compliqué avec l’approbation des comités d’éthique en 48 h pour l’étude COLCORONA. La biobanque est un autre exemple qui nous montre que nous pouvons travailler ensemble pour décider des protocoles en quelques jours. L’expérience nous a prouvé qu’il est possible d’accélérer les processus sans passer par une multitude d’étapes, tout en conservant une qualité d’étude impeccable requise pour assurer des résultats rigoureux. De nouvelles technologies comme les approches d’intelligence artificielle pourraient être mises à profit pour des analyses plus rapides.

« Pourquoi dans les périodes habituelles, le processus d’approbation prend-il des mois ? Nous devons comprendre comment nous avons réussi à accélérer les processus d’approbations pour conserver ces approches après la crise. Nous pouvons faire des études de grande qualité, plus rapidement, sans tourner les coins ronds. Il faut trouver comment. »

La pandémie amène incontestablement d’innombrables mauvais côtés. À tout le moins, un des aspects positifs aura été de montrer qu’il y a des moyens de simplifier les étapes réglementaires pour accélérer le processus d’approbation. Comme le temps, c’est de l’argent, il convient de s’y pencher pour hâter le développement des médicaments.

« Un élément primordial de cette discussion sera que nos leaders élus, les ministres, les premiers ministres et les décideurs en santé publique choisissent d’aller dans cette direction, soit de simplifier les processus. »

Nos leaders devront se prononcer en disant que c’est ce qu’on veut faire et que c’est ce qu’on doit faire. C’est le seul moyen pour que la machine bureaucratique y adhère. Un des problèmes risquant de survenir est la prise de décision au niveau canadien. Alors que les provinces pourront probablement faire de bonnes avancées, elles refuseront probablement de se faire dicter leur conduite par le fédéral. Le fait que la santé est une compétence provinciale pourrait de compliquer le déploiement du changement. En Angleterre, où la santé est une politique fédérale, c’est beaucoup plus facile qu’ici d’implémenter des directives nationales.

Accepter de faire les choses différemment

Le changement est souvent difficile à implanter : beaucoup diront qu’on n’a jamais procédé ainsi, donc on ne peut pas le faire. La pandémie nous amène à réfléchir à nos façons de faire, à revisiter nos habitudes, à les remettre en question et à sortir de notre zone de confort. Chaque secteur veut protéger ses acquis et de tels territoires existent à tous les niveaux : à l’intérieur du ministère, d’un hôpital, d’une université, d’une compagnie, et du gouvernement.

« C’est le moment de revoir nos chasses gardées. » 

Pour trouver les moyens de simplifier les processus et d’adopter les changements, nous devrions faire appel à des gens ayant une expertise un peu différente de celles des fonctionnaires, comme une connaissance de l’intelligence artificielle ou des technologies numériques. Les bureaucrates sont souvent réfractaires à ces technologies, qui les sortent de leurs habitudes. Ils doivent acquérir une nouvelle façon d’aborder les problèmes et s’ouvrir à moderniser les méthodes d’application les règles pour minimiser les retards. Des formations adaptées à la réalité post-pandémie seront nécessaires pour encourager les transformations.  

« Changer les processus habituels sera compliqué, il y aura assurément de la résistance, mais il faudra le faire. »

Conserver les progrès acquis pendant la pandémie

Pendant la pandémie, la télémédecine a pris beaucoup d’ampleur et les fax ont été mis de côté. Il ne faudra pas revenir en arrière lorsque la crise sera passée et nous devrons réfléchir à ce que nous avons appris de la situation pour trouver des façons de faire mieux dans le futur.

La technologie a gagné en l’importance pendant la crise. Par exemple, dans le cas de COLCORONA, CGI a mis sur pied une immense infrastructure numérique afin que l’étude puisse se dérouler à distance sur plusieurs sites québécois, canadiens et américains. Plusieurs institutions internationales ont utilisé une telle stratégie dans de grandes initiatives sur la COVID-19. Les essais à distance seront avantageux pour tous, particulièrement pour les pays en voie de développement. Bien qu’ils présentent de nombreuses opportunités, il faut toutefois s’assurer que la qualité des études est maintenue. 

« Le patient partenaire doit absolument être rapidement impliqué dans le processus, puisque c’est peut-être par eux que le changement risque d’arriver. »

Q. Quel est l’impact de la crise sur les patients ?

 Trouver comment redémarrer les soins non COVID

Après la pandémie, il y aura beaucoup de rattrapage à faire puisque toute l’emphase est actuellement sur la COVID-19. Les patients avec diabète ou des problèmes cardiaques sont craintifs de consulter leur médecin, des chirurgies ont été retardées, les essais cliniques qui étaient en cours sont ralentis. Les effets secondaires de la crise risquent d’être majeurs dans le futur. Par exemple, Dr Tardif, qui travaille habituellement sur les maladies cardiovasculaires, a mis ses travaux de côté pour se concentrer à temps plein sur la COVID-19.

« Nous ne pourrons pas garder ce rythme sur une très longue période. Nous devrons trouver comment réintégrer les patients dans le système de santé. »

Beaucoup d’emphase a été mise sur la COVID-19, mais il ne faut pas oublier les autres maladies. Les gens attendent trop longtemps avant de se rendre à l’hôpital. Il faudra leur dire que c’est sécuritaire et qu’ils doivent s’y présenter. Il y aura beaucoup d’anxiété : nous devrons instaurer plus de mesures sanitaires et bien les expliquer.

Pour ce qui est du redémarrage de la recherche clinique, ce ne sera pas simple. Beaucoup d’argent aura été perdu, les essais cliniques devront être prolongés et les patients ne seront peut-être pas au rendez-vous par peur du système hospitalier.

Le gouvernement contribuera à compenser les pertes du privé

Les pertes financières énormes subies par tous les acteurs de la recherche clinique sont observées dans tous les secteurs économiques, tels que la restauration et le tourisme, qui vivent des enjeux encore plus grands. Pendant les prochains mois, les appuis viendront des gouvernements. Là où les compagnies subvenaient aux besoins, ce sera au gouvernement et aux fondations de prendre le relais.

Le gouvernement fédéral a annoncé un immense programme de financement de la recherche dont une part importante ira aux études cliniques et qui remplacera temporairement l’argent du privé. Les infrastructures de recherche clinique du Québec devront y appliquer et recevront des frais indirects. À court terme, c’est probablement la meilleure solution, car il est certain que l’industrie aura des difficultés.

Q. Comment pourrions-nous améliorer notre façon de faire la recherche clinique au Québec ?

Démarrer les études cliniques tôt pour accélérer l’innovation

La recherche fait partie d’un continuum aboutissant à l’innovation et la commercialisation d’un produit, d’un processus, d’un brevet ou des découvertes. Il faut que la recherche clinique soit démarrée assez tôt dans le développement, avec des ressources considérables, pour accélérer l’innovation.

Nous n’avons pas tous les moyens du monde en matière d’investissements en recherche clinique précoce, mais nous avons au Québec des infrastructures de qualité et de l’expertise et il faut s’assurer de les exploiter de façon optimale. À mon avis, c’est loin d’être le cas, en particulier pour le CHUM et le CUSM.

« Nous avons de très beaux espaces, d’excellentes infrastructures, mais elles sont encore un peu vides et mal utilisées. »

On ne peut pas demander au privé de remplir ces infrastructures, il faut aussi que le public et les chercheurs académiques s’investissent plus intensément en recherche clinique. Les deux secteurs doivent participer à l’effort, mais il reste encore beaucoup de travail pour y parvenir. J’espère que la pandémie nous aura appris que nous pouvons le faire, et ce, beaucoup plus rapidement.

Changer la culture institutionnelle face à la recherche clinique

La recherche clinique doit être intégrée aux soins hospitaliers. Pour y parvenir, il faudra que les messages viennent du ministère et du gouvernement. Ils doivent se servir des endroits où qui réussissent à bien arrimer les deux, tel l’hôpital général juif, pour montrer l’exemple. L’inclusion de la recherche clinique comme étant une composante des activités de l’hôpital ou du CHU est la responsabilité de la direction générale. Il faudra revenir un peu en arrière pour décentraliser et responsabiliser les administrations locales pour que la recherche clinique fasse partie de leur mandat.

« La culture institutionnelle aidera à arrimer la clinique et la recherche, mais le message doit venir des gouvernements. »

 

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